Oeuvre éducatrice

Éducation, ré-éducation

Parallèlement à ses carrières interdépendantes de biologiste, sociologue et urbaniste, P. Geddes a mené durant cinquante-six ans une intense vie d’éducateur.

À la fin du XIXe siècle, P. Geddes participe activement au mouvement d’éducation populaire et aux méthodes dites actives, propagées par les grands éducateurs de cette fin de siècle comme Adolphe Ferrière, créateur de la Ligue Internationale pour l’école nouvelle, Edmond Demolins, créateur de l’école des Roches en France ou Maria Montessori. Pour ces derniers, l’apprentissage doit être un facteur de progrès global de la personne avant d’être une accumulation des connaissances. Positiviste comtien, P. Geddes est convaincu que l’instruction est la clé du progrès social et de l’épanouissement personnel. Aussi s’occupera-t-il toute sa vie de l’éducation des ouvriers et de la formation des adultes en général.

 
Son expérience d'enseignant et ses critiques de l'éducation institutionnelle

Geddes obtient deux chaires de professeur, l’une de botanique au University College Dundee de 1887 à 1916 à Édimbourg et l’autre de sociologie à Bombay de 1919 à 1923. Il lutte pour rendre accessible l’instruction universitaire à toute personne qui ne pourrait s’inscrire à l’université et adhère au « Mouvement d’Extension Universitaire ». Mais cette initiative échoue quelques années plus tard faute de moyens pour payer les conférenciers.
 

Par ailleurs, il souhaite améliorer la condition des étudiants et crée en 1887 les premiers foyers autogérés pour étudiants à Édimbourg et Londres ou University hall initiant ainsi une vie corporatiste en lien avec l’université. Il incite ainsi les résidents à organiser eux-mêmes le foyer afin de les rendre autonomes et à les préparer à la vie sociale et professionnelle. C’est ainsi que sa devise Vivendo discimus prend tout son sens : l’éducation qui ne peut se réaliser qu’en vivant.

Il instaure les cours d’été ou Summer Meetings (1887-1899) lors desquels il organise des cours sur les arts et les sciences avec des personnalités telles qu’Élisée Reclus, Pierre Kropotkine, Paul Desjardins, John Arthur Thomson ou l’abbé Félix Klein. Il met en avant le Seminar, ou méthode de travail en groupe, à travers des promenades scientifiques et fournit une synthèse de la littérature scientifique sur les sujets abordés durant ces cours d’été. On voit là son désir constant de lutter contre la spécialisation des disciplines en place dans les universités et son refus des programmes statiques et de l’apprentissage par cœur.

Dès 1874, date à laquelle il arrive à Édimbourg comme étudiant, il adopte une attitude très critique envers l’enseignement universitaire, se présentant volontiers comme « inspecteur des universités ». Il critique sévèrement la machine bureaucratique et examinatrice héritée de Napoléon, le système de l’évaluation par les examens, qu’il refusera toujours lui-même de passer ainsi que la séparation dans l’enseignement des arts, lettres et sciences. Par-dessous tout, il s’attaque à la culture livresque et à l’absence d’une approche synthétique et globale des connaissances. La méthode des « 3 R » (Reading, wRiting and aRithmetics) n’est pour lui qu’un outil au service de la vraie éducation.

      
 
L’éducation familiale et régionale

Éduqué exclusivement par ses parents jusqu’à l’âge de huit ans, Geddes reste marqué par un enseignement familial au contact des choses de la nature. Influencé par le critique John Ruskin, poète et critique d’art, lors de ses études à Oxford, il met en exergue la noblesse et la nécessité du travail manuel et prône ainsi le régime des « 3 H » : Heart, Hand and Head (cœur, main, tête). Il prend comme méthode d’éducation la vie elle-même et se fonde sur les émotions, l’action et l’exercice physique pour aboutir à l’intelligence proprement dite et à la morale. Geddes applique à lui-même cette conception de rééducation vitale ainsi qu’à ses enfants, considérant la famille comme base essentielle de l’éducation.

 
Un des apports les plus originaux reste cependant l’étude complète de la région naturelle ou regional survey, symbolisée et matérialisée par la construction en 1892 à Édimbourg de l’Outlook tower (tour d’observation), musée-index éducatif proposant la découverte de disciplines peu ou pas enseignées (géologie, géographie, histoire de l’économie, sciences naturelles et sociales). Elle domine la ville et sert de méthode pédagogique et de thinking machine (machine à penser). L’architecture intérieure de la tour permet au visiteur d’aller du particulier (la ville) au général (l’Europe et le monde) et propose l’arpentage complet d’une région ainsi que de ses ressources matérielles, intellectuelles et spirituelles.         

Valley Section. Inspirée par Élisée Reclus dans son Histoire d'un ruisseau, la Valley Section. GEDDES (Patrick), ABERCROMBIE (Patrick), BRANFORD (Victor), The Coal Crisis and the Future, Londres : Williams and Norgate, 1926. (BIU Montpellier – section Droit – GED 150538 RES)
La Valley Section : milieu naturel et organisation des activités humaines.
Inspirée par Élisée Reclus dans son Histoire d'un ruisseau, la Valley Section

 
La rééducation de l’individu

Ces activités pédagogiques d’un genre nouveau se concentrent dans son ultime projet envisagé quelques années auparavant avec son ami, le botaniste Charles Flahault : la création du collège des Écossais à Montpellier en 1924, sorte d’abbaye de Thélème qu’il dirigera jusqu’à sa mort en 1932. Situé sur le Plan des quatre seigneurs, le collège a vocation à être une cité universitaire internationale. Geddes souhaite ainsi développer le sens critique et l’exercice de l’observation personnelle dans un milieu propice au travail en commun et développer l’éducation de la pensée par l’examen de la nature et du travail manuel. Son but est de rééduquer et réformer les individus qu’il trouve « méséduqués ». Pour ce faire, il établit un programme constructif de rééducation, de convalescence de l’étudiant où la première étape est l’abandon temporaire des livres, le travail de jardinage puis l’observation et l’exploration de la nature à partir de la plus haute terrasse sans oublier enfin la découverte de la vie urbaine et de sa région.

 

Dédicace de Jules Valéry, doyen de la faculté de Droit et frère de Paul Valéry, à Patrick Geddes. VALÉRY (Jules), Le séjour de Pétrarque à Montpellier, Montpellier : Roumégous, 1921. (BIU Montpellier – section Lettres – cote BRX 86954)
Dédicace de Jules Valéry à Patrick Geddes


Si l'université de Montpellier est présente lors de l'inauguration du Collège des Écossais, si les résidents soutiennent dix-sept thèses au sein de l'université de 1925 à 1939, si les rapports avec certains professeurs sont amicaux (voir ci-contre), la position résolument anti-académique et critique (Geddes considère l'université de Montpellier comme « la belle au bois dormant ») et le manque d'organisation des études au Collège rendent les relations complexes. La pensée urbanistique de Geddes reste néanmoins vivante dans l'enseignement et la recherche menés à l'École nationale supérieure d'architecture de Montpellier, dont la création en 1969 doit beaucoup à l'association des amis de Patrick Geddes.